11 septembre : comment se construisent la haine et la terreur comme systèmes. par Pierre Blouin

11 septembre : comment se construisent la
haine et la terreur comme systèmes

« J’étais revenu dans la vie, c’est-à-dire dans l’oubli :
la vie était à ce prix (…) Il faut l’accepter,
mais à condition d’en payer le prix ».

Jorge Semprun, « Comment transmettre l’inimagineable »,
L’Express
, 26 janvier 1995.

L’horreur est une composante du manque, de la pauvreté. Or, la pauvreté est bien plus qu’un état de fait et qu’une réalité économique : c’est aussi un état d’esprit, un processus mental qui mène à l’appauvrissement total, celui de l’âme et de l’être. Ce désespoir dont on ne cesse de parler depuis ce mardi matin ensoleillé sur la ville la plus puissante et la plus riche du monde, il n’est pas qu’une affaire de métaphysique ou de terroristes. Il est infiltré en nous-mêmes, il nous paralyse, nous guette au moindre détour, pour mieux nous surprendre. La société dite d’abondance et de croissance est la société la plus pauvre qui ait jamais existé dans l’Histoire.

* * * *

J’étais sur le point de m’asseoir au café du village pour continuer ma lecture d’un livre d’André Laurendeau sur son expérience de 1940 durant la conscription au Québec. Mais ici, en cette place calme, pas de cris, pas de tumulte.

Si je m’étais trouvé à Montréal ce soir-là, sans doute aurais-je marché moi aussi avec tous ces gens au visage illuminé par les flambeaux, vers le sommet de la montagne qui domine la ville en dormance, d’où nous aurions contemplé tous ces symboles phalliques et de pouvoir en incandescence que sont des « gratte-ciel » (peut-être même plusieurs étaient-ils éteints ce soir-là), et sûrement aurais-je pleuré pour l’expiation des péchés du monde, surtout pour ceux qui les causent, pour les plus forts, pour les péchés du pouvoir et leurs conséquences en forme de tragédie qui n’a plus de nom que celle de sa gigantesque, de sa titanesque colère et de son langage réduit à néant.

Devrait-on même se contenter de pleurer ? Pleurer, déplorer, condamner sans penser ? Est-ce possible pour construire un monde meilleur ? Très tôt dans la presse établie, les démagogues se sont empressés de fustiger ceux qui soutenaient que les USA s’étaient mérité leur drame, confondant à dessein les notions de conséquence et de  » mérite « . Un animateur de la radio de Radio-Canada ( Jean Dusseault ) coupait la ligne au nez des intervenants qui ne se contentaient pas du discours de la majorité des auditeurs… Il fallait pleurer les morts et rien d’autre. Comme l’écrivaient Michael Albert et Stephen Shalom dans Z Mag du 19 septembre (  » Sept. 11 and Its Aftermath « ),  » il serait odieux de ne parler que des crimes américains à l’étranger sans parler des victimes de la terreur de New York (…) Nous voulons éviter la souffrance d’autres innocents à l’extérieur des États-Unis, nous avons des sentiments de sympathie qui vont bien au-delà de ce que les médias ou les gouvernements nous fixent comme limites de sympathie permise « . En somme, il s’agit aussi de COMPRENDRE, ce que les médias officiels essaient d’empêcher à tout prix en se concentrant sur les personnalités et les événements, sur les sentiments et les craintes, sur toutes les ressources du spectacle et de ses stratégies. Les médias ont, comme depuis toujours, leur propre guerre à mener.

Pour l’Américain moyen, cette journée est menaçante d’abord parce que la vie réelle de la catastrophe s’impose. Finie l’image, la médiation technique : il n’y a plus de divertissement à voir le feu et l’action, à vivre comme dans une image, dans le virtuel. Désormais, il est aux prises avec la véritable réalité (sic), et non plus avec son arrangement, sa mise en scène spectaculaire. Scandale s’il en est, car il va avoir à vivre avec le traumatisme du Réel. Plus de tricherie possible par l’intermédiaire de la fiction. NOUS sommes le Réel et ses acteurs, position jusqu’alors réservée aux peuples lointains, infilmables, innommables.  » Welcome to the rest of the world, America ! « 

Le 11 septembre, anniversaire du Chili d’Allende, de l’attaque sauvage (quel autre mot choisir?) d’un petit pays qui avait choisi la liberté par un grand pays du Premier Monde. L’Amérique-la-pure, l’Amérique-la-sainte, toute surprise d’être ainsi prise en flagrant délit. Comme en 1914 la  » civilisation chrétienne  » était en péril, aujourd’hui en cette première guerre du nouveau siècle (bienvenue dans le futur, il vient de franchir notre porte), c’est la Liberté et la Démocratie qui sont visées. Le Bien (les USA) contre le Mal (tout le reste du monde, inconnu, menaçant, immaîtrisable). George Bush a eu beau rectifier le tir peu après, la scène est mise, et pour longtemps.

On célèbre tous en chœur la non-violence, certes, mais on doit le faire avec une conscience politique, avec une intelligence claire des choses. Il faut éviter que nos réactions ne soient que lénifiantes, édifiantes, outrées. Il faut critiquer les contrôleurs de l’information que sont les médias et leurs bonzes, qui ne posent jamais les problèmes en termes POLITIQUES, en termes de rapports de forces et de classes aux intérêts opposés, qui tiennent les points de vue dans la limite du moral, de l’individuel (la  » psychologie du terroriste « ,  » les antimondialisation ( sic ) se trouvent un nouveau cheval de bataille « ). Les médias relaient essentiellement le discours du Pouvoir, ils répètent les paroles de la logique de guerre comme si c’était là l’état naturel et normal des choses.

Ce monde abstrait et idéal où ils vivent n’est pas le monde réel, et parfois leurs lecteurs le leur rappellent : je lis les réactions d’un petit sondage fait dans Le Soleil de Québec, Michel, un brocanteur, résume l’opinion générale des 30 personnes auxquelles la journaliste a parlé cette journée-là :  » Quand t’as le nez fourré dans les affaires des autres à l’année longue, il faut que tu t’attendes à des réactions « . Yolande, enseignante à la retraite :  » Les Américains allument des feux un peu partout. La révolte fermente « .  » Ça fait 50 ans que les Palestiniens essaient d’avoir leur coin de pays et que les Américains bloquent ça…  » (Un fonctionnaire québécois). Jusqu’à Khadafi qui a des paroles plus modérées et, ma foi, plus intelligentes que bien des journalistes, éditorialistes, intellectuels et politiciens que je lis dans cette édition…

Des personnes choquées dans leur foi ont protesté contre ce  » vox pop « , l’estimant déplacé et inconvenant en cette période où il convient de pleurer et de déplorer sans se poser de questions. L’éditorial de La Presse, signé André Pratte, souligne le caractère résolument incompréhensible de la tragédie ( ce journaliste se fait à son tour  » oiseau de malheur « , incapable de se rendre dans une bibliothèque pour se documenter, comme il le conseillait à ses confrères…). À la télévision de RDI, un docte  » expert en stratégie  » de l’UQAM nous initie à la technique de la logistique et des jeux de guerre. Gil Troy, professeur d’Histoire à McGill, nous dit que les démocraties sont un peu bonasses, un peu difficiles à mettre en colère, mais lorsqu’elles le sont, « elles répliquent avec force et efficacité » (Le Soleil, 13 septembre). De quoi rassurer le citoyen aux prises avec une angoisse existentielle, qui ne sait rien et ne doit rien savoir.

Ce citoyen est beaucoup plus sensé que les bonzes non informés qui sont chargés de l’informer : il sait, lui, faire la distinction entre le peuple et le Pouvoir, entre les gens et leur gouvernement. Le peuple américain, ce n’est pas le pouvoir américain, ce n’est pas l’impérialisme US. Or, toute la stratégie médiatique vise à confondre les deux. Exemple entre mille : Dan Rather, chef d’antenne (le tout puissant  » anchorman « ) en larmes à l’émission de David Letterman :  » Ces gens-là (Trudeau parlait ainsi du FLQ en 1970) veulent la mort de notre pays. Leur pays est terriblement pauvre. Ils se voient comme les négligés du monde. Nous, nous avons tout. Est-ce l’envie? Non, c’est de la haine « . Exactement l’argument que reprend Bush dans son discours au Capitole quelques jours plus tard. La pauvreté est une affaire de perception, comme l’enseignent d’ailleurs de nombreux sociologues ; la pauvreté existe en dehors de tout système économique et politique (ce n’est pas ce qu’on dit sur Cuba toutefois…). Les pauvres ont perdu la tête et en veulent à notre confort innocent. Nous n’y sommes vraiment pour rien dans cette histoire.

À CNN, on évoque Samuel Huntington, la guerre des civilisations, un intellectuel du Pouvoir à lire entre deux romans d’action.  » We need peace, not war « , dit une jeune étudiante de Montpelier (Vermont), organisatrice d’une marche pour la paix, qui fond en larmes (15 septembre). Puis, la  » business as usual  » reprend le dessus :  » arrêt de la croissance « ,  » Wall Stret fera face « .  » The American Way of Life goes on « , clame un responsable de la Bourse de New York en cette même journée. Enfermons-nous dans notre aveuglement, dit-il.

De toutes part, on réaffirme sa Foi. À l’instar des figures universitaires  » reconnues  » qui réussissent à prendre le haut du pavé, on court-circuite la nuance, la complexité, on récite notre acte de foi et on caricature à volonté. Au lieu de creuser, de préciser, de définir, on brouille les pistes, on noie le poisson, on confond le plus possible. De plus, il apparaît très vite que la gauche, que le point de vue progressiste doit être fustigé, attaqué. La gauche, le seul acteur social qui dénonce avec une argumentation la violence et les guerres, est l’ennemi commun à abattre. Aux USA, elle est  » Un-American « , comme aux beaux jours du McCarthyisme. Ailleurs, elle est irresponsable, indécente, déplacée. Cette gauche qui s’est opposée à toutes les fureurs guerrières, les Jaurès, les Eugene Debs, Rosa Luxembourg, Bertrand Russell et dont la plupart finirent en prison. Ceux qui ont le courage de s’opposer à la colère générale sous forme guerrière, ce sont aussi des sénateurs, comme Wayne Morse, qui s’était opposé à la Résolution dite du Golfe du Tonkin en août 1964, qui a marqué le début de la tragédie du Vietnam.  » I am pleading that the American people be given the facts about foreign policy (…) We’re going to be guilty, in my judgement, of being the greatest threat to the peace of the world (…) I don’t know why we think, just because we’re mighty, that we have the right to try to substitute might for right « , clamait Morse, dont la presse a oublié le nom et en a fait un paria. ( Norman Solomon,  » A Unanimous Triumph for Masters of War « , Alternet.og, September 14, 2001 ).

Une exception que je note avec plaisir dans le concert des médias mainstream : le sociologue Bernard Arcand, qui dit que si les gens confondent fanatisme, Islam, guerre, c’est que les médias leur expliquent les choses de façon élémentaire, et que donc ils réagissent de façon élémentaire (Le Soleil, Élizabeth Fleury, 14 septembre). Ceci en toute fin de son article. Ce que dit d’ailleurs un citoyen dans ce même Soleil, le 20 septembre ( plusieurs jours ont passé, des consciences, mauvaises peut-être, ont besoin de s’épancher…) :  » Comme citoyen, j’ai besoin d’informations éclairantes sur les sources et les causes de l’inconcevable situation dans laquelle j’ai été projeté et j’ai besoin de pistes d’action pour quelqu’un qui n’a pas l’intention de rester les bras croisés à regarder le sort du monde se jouer devant lui (…) Pour cela, il est sans doute préférable de relire Gandhi et Luther King que d’écouter inlassablement les mêmes chefs militaires à l’antenne de CNN  » (Clément Laberge, p. A 23). ( Ce que M. Laberge ignore, et nous aussi, c’est qu’un journaliste hollandais du nom d’Abe de Vries dans le journal Trouw a découvert lors d’une enquête que du personnel, des soldats et des officiers d’un groupe d’opérations psychologiques de Fort Bragg, en Caroline du Nord, ont effectué des stages à CNN comme employés réguliers pour  » aider à la rédaction des nouvelles « . On les nomme analystes parce qu’ils possèdent la  » bonne  » expertise. Le plus scandaleux, cependant, est le fait qu’aucun média n’en ait parlé. En outre, Christiane Amanpour, la principale correspondante de CNN à l’étranger, est l’épouse du porte-parole du Département d’État, Jerry Rubin… Voir http://vancouver.indymedia.org,  » CNN and Psy-Ops « ).

Puisqu’il était plus haut question de Gandhi et de Luther King, allons-y d’une petite citation de Gandhi, autre que celles qu’on lui attribue d’ordinaire, fort pertinente en la circonstance :  » Le grand péché de l’Angleterre aux Indes, c’est l’impérialisme… Qu’elle avoue et commence à réparer « . Et Luther King :  » Please forgive us for being the most violent government on Earth « , rapportait Colman McCarthy du Washington Post. Martin Luther King a affirmé ceci le 4 avril 1967 dans la Riverside Church à New York :  » My government is the world’s leading purveyor of violence « .

Côté racisme, malgré toutes nos bonnes intentions, on évite difficilement l’écueil : Jean-Jacques Simard,  » éminent professeur  » de l’Université Laval, affirme tout de go ( comme bien d’autres figures de mass-média ) que les musulmans sont bouleversés par le changement ( ah, ce changement, que de sottises commises en ton nom! ). Les Musulmans fuient l’angoisse dans le refuge du Nous, et contre ce Nous, choisissent tout bonnement les USA comme cible à attaquer. Louis Balthazar, prof d’Histoire américaine à la même université : ménageons les Américains, on a la même culture qu’eux, on partage leur richesse, ils commettent des bourdes certes, mais leurs guerres sont justes, puisque approuvées par les Nations-Unies et supportées par la  » communauté internationale « . Fanatisme et raison : « La riposte s’organise », à la une du Soleil le 17 septembre. Billy Graham à la commémoration religieuse : il faut se venger. Oui, il représente l’extrême-droite, cette extrême qui a élu Bush, qui pèse plus que jamais dans la balance du plus grand pouvoir de la planète.

Deux jours après le drame, Newt Gingrich prononce un discours devant l’American Enterprise Institute de New York, un des deux  » think tanks  » conservateurs les plus pesants en ville, l’autre étant le Heritage Institute. C’est  » a gathering of the hawks  » dit Nicholas Lehman du New Yorker (  » The Options « , October 1, p. 75). L’orateur présente un argumentaire fort simple et conforme aux croyants, qu’on en juge : les talibans cesseront d’abriter les terroristes ou nous remplacerons les talibans  » We’re the most powerful nation in the world « . Voilà le plus terrifiant : la nation la plus puissante ne peut voir son orgueil réduit presque à néant, et elle peut faire n’importe quoi pour se sortir de cette impasse intolérable.

Le midi du 11, je dîne ( étant invité, mais sans appétit ) dans un resto à la mode: à côté de moi, deux hommes d’affaires, cellulaire en mains, ne manquent pas LE sujet médiatique dominant : la réaction des Palestiniens qui se réjouissent. « Ouais, cette bande de craqués… ». Insignifiant et insipide, comme toutes les conversations de lunch. Mais combien odieuse en cet instant où on doit garder toute notre tête pour penser et mesurer nos émotions.

Ainsi que le disait la première journaliste à visiter l’Exodus, ce bateau de réfugiées juifs que les Britanniques attaquèrent au large de la Palestine en 1947 :  » On n’a que des platitudes à dire lors des grandes tragédies. « …

* * * *

Le réconfort, tant moral qu’émotionnel, m’est finalement venu une semaine après le drame, après que je sois sorti du mélodrame de la télévision en direct, de conférences de presse en visites sur le terrain, après que les images des tours en flammes et en poussière me soient sorti du cerveau à force de m’être régurgitées par ces maîtres ès communication qui veulent me paralyser et me clouer dans la crainte du mal et de l’inconnu. Voici que tout à coup, comme un survivant qui émerge de la tempête de sable, je lisais, enfin. Je lisais, c’est-à-dire je décodais enfin le sens des événements. Des voix intelligentes, alternatives, contestataires, critiques se faisaient entendre.

Paul Davidson :  » La guerre revient hanter ses initiateurs… Les victimes de New York sont les victimes domestiques innocentes du paradigme de la politique étrangères américaine « . Michael Moore :  » Je suis citoyen américain, et mon pays a mené depuis 50 ans une politique criminelle de meurtre de masse de par le monde avec mon argent. Maintenant, ce sont mes amis et confrères qui en aient le prix de leur vie « . Michael Albert dans ZMag le 12 septembre :  » À cause de la distance qui nous sépare du reste du monde et de l’opération continue d’opacification de ses luttes par nos médias de masse, nous, citoyens du Premier Monde, ne pouvons réaliser que les ressources des pays pauvres sont sans cesses pillées et détournées au bénéfice du capital multinational. Tel est le vrai meurtre. »

D’autres phrases s’imposent à moi comme autant de phares dans la nuit, au milieu de ces ténèbres qui reprennent le drame pour l’amplifier et neutraliser la compréhension de masse :  » It is of great importance right now to stress the fact that imperial terrorism inevitably produces retail terrorism; that the urgent need is the curbing of the causal force, which is the rampaging empire  » (Edward Herman, 13 septembre, ZMag). John Pilger, journaliste britannique :  » Far from being the terrorists of the world, the Islamic peoples has been its victims — principally the victims of US fundamentalism, whose power is in all its forms, military, strategic, and economic, is the gratest source of terrorism on Earth  » (idem). Je comprends pourquoi je n’ai pas lu ces vérités dans mes quotidiens, et que je ne les y lirai jamais. Ce sont des hérésies, comme au Moyen Âge…

Ah oui, je sais, il est beaucoup trop simpliste de tout attribuer aux Etats-Unis, ce pays si noble et si humaniste, défenseur des libertés. La réalité est malheureusement trop simple, en effet, et ce n’est pas le moindre aspect du drame qui nous happe tous.

William Mandel, 84 ans, journaliste à la chaîne alternative américaine Pacifica Radio depuis 37 ans, écrit dans Middle East Ralities, la journée même du 11 septembre:  » For 46 years, Washington has successfully conducted mass murders of non combattant civilians from the air with no fear of retaliation (…) « . Que ce soit en Corée ( 4 millions de morts coréens contre 34 000 américains), au Vietnam, ce fut toujours le  » carpet bombing  » et ses conséquences funestes, minimales pour les troupes américaines.

The Independent de Londres, édition du 17 septembre, se demande :  » What is a declaration of war against terrorism, apart from a rhetorical device ? (…) It is only meaningful to declare war on a state or a military power; anything else is a metaphor. (…) « . Vous ne pouvez pas déclarer la guerre à une tactique, continue l’article non signé. C’est comme si Roosevelt, au lendemain de Pearl Harbor, avait déclaré la guerre aux bombardements…

* * * *

Et puis, à qui profite réellement le terrorisme ? N’est-ce pas le chef de la GRC, Donald Cobb, qui en 1970, a rédigé un communiqué du FLQ qui voulait prouver que les cellules de ce mouvement n’étaient pas éteintes, et qui clamait que  » le pouvoir est au bout du fusil « … ? Les agents de ce même service de police ont posé des bombes et ont effectué un cambriolage dans les locaux d’un parti politique québécois en janvier 1973 qui a été plus réussi que celui du Watergate ( on avait tout copié, puis remis les documents en place, sans se faire prendre… Des agents de la CIA avaient d’ailleurs assisté leurs homologues canadiens).

 » US elites like war « , écrit Michael Albert dans Zmag (22 septembre,  » Peace Movement Prospect  » ). La guerre délie des responsabilités, de la moralité, de la justice. La préparation à la guerre est aussi est une bonne politique économique :  » (…) war anihilates deliberation. It elevates mainstream media to dominate communication even more than in peacetime « .

Trouvera-t-on un jour dans la grande presse la prise de position intégrale des syndicats municipaux de la ville de New York, datée du 27 septembre, qui condamne la guerre et les alliances US avec les dictatures totalitaires ?  » We want justice for the dead and safety for the living », écrivent les leaders syndicaux.  » It is wrong to punish any nation or people for the crimes of individual – peace requires global social and economic justice « .

Et puis, les Talibans, l’Afghanistan, qu’en sait-on, que va-t-on en savoir ? Est-ce parce qu’on y envoie un reporter-photographe qu’on va sortir des demi-vérités et des conceptions trafiquées qui continuent de régner ? Ces Talibans supportés par les USA comme un contrepoids facile aux Soviétiques, avec lesquels ils entretenaient d’excellents rapports (Bush leur avait versé 48 millions en avril 2001 pour supporter leur éridacation du trafic de l’opium, et la nièce de l’ancien directeur de la CIA, Leila Helms, assurait leurs  » relations publiques  » aux Etats-Unis, d’après la revue Le Monde du renseignement). On doit surtout lire une conférence prononcée par un jeune représentant taliban à l’Université de Californie du Sud à Los Angeles le 10 mars 2001, qui donne un ( évidemment ) aperçu fort différent de celui que nous livre les médias, et qui nous permet surtout de comprendre un peu mieux la situation d’ensemble à partir de données plus argumentées, plus logiques.  » Bin Laden est arrivé en Afghanistan 17 ans avant que nous existions (…) Dans le temps, M. Ronald Reagan, et Dick, Dick Cheney appelaient de tels gens des  » freedom fighters « , ou les héros de l’indépendance (…) Maintenant que ces combattants ne sont plus nécessaires, ils ont transformées de héros en terroristes. Exactement comme Yasser Arafat a été transformé de terroriste en héros. Alors nous ignorons la définition exacte du terrorisme « . L’auteur poursuit en disant que les problèmes de l’Afghanistan sont plus profonds : ils ont été créés par l’impérialisme, deux impérialismes, britannique et soviétique.  » Si vous n’aimez pas l’image dans le miroir, ne cassez pas le miroir ; changez de visage « . L’auteur décrit l’entrevue de trois heures de CNN avec Ben Laden en 1998, dans laquelle ce dernier disait vouloir tuer autant de citoyens américains que possible. CNN aurait selon lui coupé la première partie de cette affirmation : Ben Laden disait que si les citoyens des USA ( qui venaient de bombarder l’Afghanistan avec des missiles ) et de la Grande-Bretagne acceptaient de laisser faire tuer tous les citoyens irakiens, alors les citoyens US ou britanniques méritaient le même sort… Œil pour œil, selon la logique du désespéré. À noter que de telles entrevues ont été validées comme preuves par le procureur fédéral de Manhattan, Mary Jo White, dans l’enquête sur les attentats contre les ambassades américaines de Naïrobi et de Tanzanie en 1998. Cela nous permet de comprendre comment il est facile de produire la méconnaissance par d’élémentaires manipulations, à partir d’une simple figure de discours. ( Source : www.usc.edu/dept/MSA/Taliban/talebanec.html . À lire bien sûr comme document d’information, avec des vues comparatives, afin de mieux cerner la manipulation mass-médiatique. Ce document permet de comprendre pourquoi les Talibans sont devenus ( ou sont composés d’éléments ) extrémistes, fanatiques. Il nous permet de sortir d’une simple condamnation du fanatisme comme fin en soi, et de l’analyser comme un PROCESSUS ).

Ben Laden est d’abord un capitaliste saoudien ( ce qui explique probablement ses liens secrets avec l’élite américaine du pétrole, les Bush en particulier. George Bush II a fondé sa compagnie pétrolière, la Arbusto Energy, en 1978, avec le frère de Ben Laden, aujourd’hui décédé ). Investisseur et financier, il habite en Afghanistan, et ce pays l’a  » abrité  » comme l’Arabie Saoudite l’a fait auparavant. Il ressemble davantage à un frère qui aurait trahi ses frères en trichant… En tout cas, il joue fort bien son rôle de bouc émissaire en nous évitant de voir tout le cancer qui nous ronge. Extraderait-on le PDG de Union Carbide à cause de sa responsabilité lors de l’accident à son usine de Bhopal qui a fait des milliers de victimes (indiennes, lointaines), comme le demandait l’écrivain indien Arundhati Roy ? Dans cet ordre d’idées, les États-Unis vont-ils répondre à la demande répétée de Cuba d’extrader un terroriste en série, reconnu coupable par la justice américaine, libéré par Jeb Bush sur l’insistance certaine de son père en 1990, pour se concilier le vote des Cubains de Miami ?

* * * *

Dixit Chris Floyd, dans l’édition du 21 septembre du Moscow Times Independent Press :

 » The same people who hired a PR firm — Hill and Knowlton – to control public perception of the Gulf War; who imposed press censorship far beyond that seen even in World War II. To this day, most Americans don’t know what was done in their name during the last war; don’t know that Bush I was an enthusiastic backer of Saddam Hussein, supplying him with arms and materials for weapons of mass destruction almost to the day he crossed into Kuwait; don’t

know that American soldiers were ordered to massacre surrendering Iraqi conscripts; or that Bush I, with an army on the scene, allowed Saddam to slaughter Iraqi rebels trying to overthrow him just after the war.

You can’t even speak of such things; you sound like a madman, a crank raving on the street. There’s no context where this history can resonate, no way for it to inform the debate on how America should respond without repeating past mistakes. It’s all hidden in the fog, decades of murk; and the fog is rising again.

It’s a cold, brutal fact, hard to face, hard to stomach: We are all living in a world of lies — lies that don’t even know they

are lies, because they are the children and the grandchildren of lies. »

La journaliste indienne Achin Vanaik, de retour dans son pays après un atterrissage imprévu à Montréal le 11 septembre dans un texte intitulé  » Fortress America « , dans le journal The Hindu du 26 septembre :

 » One cannot legitimize as the main correctors/policers of international terrorism those who are themselves

guilty of terrorisms which then not only goes unpunished or unrecognized but is made unrecognizable. The double standards involved here are not just morally shameful but politically counter-productive because they will

lead to more widespread bitterness and alienation reinforcing the appeal of those who claim that sub-state terrorism is the only form of retribution to the strong to whom the principles of justice do not apply (…) « .

Et puis, j’entends VS Naïpaul, j’entends Salman Rushdie, ces deux piliers de la littérature internationale reprendre en chœur la logique du gouvernement américain, jouer le même jeu que lui en montrant le fondamentalisme sans L’EXPLIQUER. Il s’agit toujours de nommer, de décrire sans expliquer. Montrer le fondamentalisme et ses caractéristiques sans expliquer. On redouble de la sorte le discours anti-musulman, le discours raciste à saveur religieuse sur les  » forces de l’inconnu « , sous prétexte d’éclaircir les choses. Est-ce l’erreur, fréquente, du romancier qui ne sait voir le monde ailleurs qu’à travers l’univers de ses fictions ?

* * * *

Comme le dit si bien Noam Chomsky,  » (…) nous avons le choix : nous pouvons essayer de comprendre ou refuser de le faire ; dans le second cas, nous faisons en sorte que des calamités pires encore nous attendent au tournant  » (  » On the Bombings « , Z Mag ).

La notion d’atrocité terroriste est un instrument de plus dans l’arsenal des pouvoirs. Les États-Unis emploient le terme de préférence à  » crime contre l’humanité « , remarquait Robert Fisk (  » How Can the US Bomb This Tragic People ? « , The Independent, Sept. 23 ,2001 ), parce qu’ils ne veulent pas de la justice internationale. Ils ne veulent que leur propre version de la justice ( d’où leur bourde de  » Justice Infinie  » ).

Et si les suicidaires du 11 septembre n’étaient pas que des fanatiques, que des fous ? Question insensée ? Il a fallu un prêtre, le cardinal Jean-Claude Turcotte de l’archevêché de Montréal, pour se poser la question à la télévision, sur RDI :  » On ne le fait pas maintenant, mais il faudra se poser la question du pourquoi de ce geste… Je ne peux croire que 19 personnes, si aveuglées soient-elles, n’aient pas traduit une logique derrière un tel geste.  » Il est tabou de le faire. Pour l’instant seulement, ou pour toujours ?

Comme le disait Madeleine Albright des sanctions contre les civils en Irak, à l’émission de télévision  » 60 Minutes  » de Lesley Stahl, le 12 mai 1996 ( 500 000 enfants, plus qu’à Hiroshima ) :  » (…) nous croyons que cela en vaut le prix « .

La marchandisation de la souffrance et de la terreur: il faut y accoler un prix. L’incompréhension et l’intolérance en résultent comme PRODUITS finis. Qui l’a fait, et non jamais pourquoi on l’a fait. Nous ne sommes pas racistes, pas intolérants, mais rationnels.

( Trois minutes de silence, cela en vaut la peine ).

Pierre Blouin

Notes

Des textes essentiels :

www.monde-diplomatique.fr/2001/10/RAMONET

L’islamisme radical est devenu l’ennemi terroriste, et tous les dérapages sont permis, souligne Ignacio Ramonet.

Les adversaires de la mondialisation sont aussi dans le collimateur…

www.monde-diplomatique.fr/21001/10/SASSEN/

 » La croissance de la dette, de la pauvreté et de la maladie dans le Sud global commencent à atteindre aussi le coeur des pays riches. » Comment aider le Sud ? Par des dons humanitaires aux ONG, à la Croix-Rouge, à l’ONU, comme les Etats-Unis l’ont fait avant de passer à l’attaque ?

www.almartinraw.com/column34.html

 » It should be noted that ( Bush’s friend Governor Tom ) Ridge himself got in trouble a few years ago for praising the efficiency of the Third Reich’s civilian administration. Ridge also spoke highly of Mussolini’s ability to keep the Italian trains running on time. Now Ridge will be the guy running the Office of Homeland Security « .

 » A Gaza Diary « , Chris Hedges, Harper’s Magazine, October 2001, pp. 59-71.

L’auteur, ancien journaliste au Dallas Morning News, travaille pour le New York Times. Il décrit les conditions de vie dans les zones occupées, relate les provocations des soldats israéliens envers les enfants palestiniens jouant sur les dunes de sable de Gaza. Les illustrations de Joe Sacco sont à la fois réalistes et poétiques.

©HERMÈS : revue critique et Pierre Blouin
ISSN- 1481-0301
Créée le vendredi 18 août 2001
À jour le mercredi 18 décembre 2002

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